LE TIBET EST UN ENJEU POUR TOUTE LA PLANÈTE

Publié le par Désirs d'Avenir 84

 

 

 

 

 

 

 



Photo du palais du Potala à Lhassa, en mars dernier
© AFP

 

 

Pour la spécialiste du Tibet Claude Levenson, c'est notre avenir à tous qui se joue sur le Toit du monde

"Le problème du Tibet pose la plupart des questions déterminantes du futur : respect ou non de l'environnement, du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, des droits de l'homme tout court... Et l'Occident ne dit rien ?"

Rencontre avec une femme passionnée qui vient de publier chez Albin Michel, "Tibet, la question qui dérange".

Interview de Claude Levenson, spécialiste du Tibet 


Pour vous, le Tibet est un enjeu pour toute la planète. Pourquoi ?

Au cœur de la haute Asie, le Tibet est le château d’eau du continent : tous les grands fleuves en partent. Cette eau est un enjeu majeur pour la Chine et l’Inde, deux pays  qui représentent à eux seuls la moitié de la population mondiale. C’est aussi un enjeu stratégique : qui domine le Tibet domine l’Asie. Ce n’est pas par hasard que la Chine a mis le grappin dessus. Enfin,  c’est un enjeu pour la démocratie, les droits de l’homme et le droit à l'autodétermination des peuples. Le Tibet symbolise aujourd'hui tous les grands défis que doit relever la planète : politiques (droit à l’autodétermination), démocratiques, environnementaux, sans compter les conflits frontaliers qui ne peuvent se résoudre que par le dialogue.


N’y a t-il pas un hiatus entre le dalaï-lama, qui ne parle pas d’indépendance, mais d’autonomie, et les jeunes générations de Tibétains de l’intérieur, plus radicaux ?

C’est vrai. C’est le paradoxe tibétain. Les jeunes générations sont plus intransigeantes, même si la figure du dalaï-lama reste partout respectée. Mais il faut aussi écouter ce que dit le dalaï-lama à ces jeunes Tibétains

. Il leur laisse leur liberté et leur dit, "c’est votre avenir. Le Tibet vous appartient, c’est votre pays. A chacun d’agir" .

 


Pour Pékin, le Tibet est chinois. Qu’est-ce qui permet d’affirmer que les Tibétains appartiennent à un pays différent ?

Pékin ne dit pas que le Tibet est chinois, mais que le Tibet appartient à la Chine, nuance. Or, comment un pays peut-il appartenir à un autre ? Entre la Chine et le Tibet, il y a une différence de langue, de vision du monde, de religion, d’histoire. Ce n’est pas une minorité, mais une civilisation et un peuple différents. Quand il a été envahi, le Tibet avait toutes les caractéristiques de l’Etat nation : un territoire, une langue, une histoire, une administration, une armée, un drapeau, des relations sommaires, mais existantes, avec ses voisins notamment l’Inde, le Népal, le Bouthan. Autant de caractéristiques qui suffisent aujourd’hui à d’autres nations pour se voir reconnues comme telles. Voyez le Kosovo  qui se cherche un drapeau, alors que le Tibet en a un depuis le début du XXème siècle. Malgré cela, les tentatives du Tibet pour adhérer à l’Onu ont été freinées à l’époque par l‘Inde et la Grande-Bretagne. On a dit aussi que c’était un pays trop petit pour vivre  seul alors qu’il y a aujourd’hui une quarantaine de pays dans le monde de moins d’un million d’habitants, et une cinquantaine qui ne sont pas viables, dont le Kosovo. Mais Bernard Kouchner se mobilise pour le Kosovo, et pas pour le Tibet…


Pourquoi le dalaï-lama ne porte-t-il pas cette revendication d’indépendance ?

Parce que c’est un moine et qu’il est porteur de paix. Par réalisme, parce que la Chine n’accepterait pas l’indépendance et qu’aucun Etat ne soutiendrait pareille revendication. Mais le dalaï-lama n’interdit pas aux autres d’être favorable à l'indépendance.


Est-ce que le combat pour le Tibet peut servir les Chinois ?

Le Tibet, c’est une loupe qui montre les contradictions de la Chine : ouverture économique, mais aucune ouverture sur le plan des droits de l’homme. Les Chinois n’ont même pas accès à des droits pourtant prévus par leur Constitution. Aucun respect non plus des droits du travail les plus élémentaires dans « l’atelier du monde ».  Les délocalisations en Chine, ça nous revient aussi en boomerang. C’est pour ça que le combat pour le Tibet est aussi un combat pour l'ensemble de la Chine, et pour l'Occident. Mais il est difficile pour une dictature de lâcher du lest.


Y a-t-il  une politique de sinisation accélérée au Tibet ?

A Lhassa en 1984, il y avait 50.000 habitants dont 2000 Chinois, sans compter les forces de l’ordre. Aujourd’hui, il y a de 300 à 400.000 habitants, dont 60 à 70.000 Tibétains maximum, plus les forces de l’ordre.  Lhassa est maintenant une ville chinoise. Les autorités affirment qu’il y a 92% de Tibétains dans la région autonome (qui regroupe la moitié de l’ancienTibet), mais leurs statistiques ne sont pas fiables.


Est-ce que la cause tibétaine trouve des relais en Chine ?

Oui,  parce qu’ il y a une forte présence touristique chinoise au Tibet, encore renforcée par le train Pékin-Lhassa. Les Chinois y vont nombreux, mais ils se rendent compte que c’est un autre pays. Et les Chinois sur place, qui s'y installent pour des affaires ou du commerce, veulent tous retourner d'où ils viennent après leur vie professionnelle. Au Tibet, ils ne se sentent pas chez eux. ils sont de plus en plus nombreux à comprendre que c'est un autre pays.

 

 Deuxième raison : avec l’effritement de l’idéologie communiste et le capitalisme effréné qui coûte très cher aux Chinois, il y a un retour aux traditions locales, dont le bouddhisme. Et pour quelques millions de bouddhistes chinois, le meilleur représentant de leur religion, c'est encore le Dalaï-Lama.


Faut-il selon vous boycotter les J.O. , ou au moins la cérémonie d’ouverture ?

Boycott par les athlètes ? Il ne faut pas leur enlever leur joujou même s’ils sont aussi des citoyens de quelque part. Gandhi disait : "Là où la conscience doit se prononcer, la loi n’a que faire." Boycott de la cérémonie d’ouverture ? C’est un vrai geste politique, que fera au moins Angela Merkel. Mais les gouvernements occidentaux auraient dû se montrer plus conformes à ce qu’ils prétendent être. Même s’ils s’intéressent aux Tibétains, ils craignent d’offusquer les Chinois. Pékin essaie systématiquement d’interdire aux gouvernants occidentaux de voir le dalaï-lama. Mais de quel droit interdire ? Et  ils obtiennent des résultats. La Chine déteint plus sur nous que nous sur elle, et c’est grave pour nous. Si on m’empêche aujourd’hui de parler du Tibet en France, on m’empêchera demain de parler en France de ce qui ne va pas en France.


Pensez-vous que la mobilisation va continuer ?

Oui. L’opinion y est favorable parce qu’elle s’y retrouve par rapport à une injustice. En Chine, on ne peut pas s’exprimer, les dissidents sont condamnés à des années de prison comme on vient de le voir récemment. C’est un devoir moral de parler pour les autres. Le Tibet interpelle pour de bonnes ou de mauvaises raisons,

mais il interpelle. L'orientaliste Jacques Bacot disait : "Les Tibétains sont un peuple qui vit à part des autres et ne fait rien comme eux ".

 


N'y a-t-il pas néanmoins des signes d'ouverture ?  Le site de la BBC , selon "Le Monde", est désormais accessible en Chine.

Est-ce un signe de relâchement ou un sucre à l’attention des Occidentaux ? Il ne faut pas se leurrer, en Chine, la Toile n’est accessible quasiment qu’aux journalistes ou aux expatriés. Les cybercafés ont été fermés par centaines. Mais par ailleurs, si le site de la BBC est accessible, c'est parce qu’aux yeux du gouvernement chinois, seule l’opinion anglo-saxonne compte. Pour Pékin, l’Europe n’existe pas.

 

 

Publié dans INTERNATIONAL

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B
La question du Tibet (comme celle de la Tunisie...) pose le problème général suivant :Qui sommes-nous pour prétendre défendre - les droits de l'homme, comme en Tunisie ;- les peuples opprimés, comme les Tibétains...La seule solution nécessaire (mais pas suffisante), à notre petit niveau, consisterait à boycoter TOUS les produits chinois. Et dans ce cas le résultat sera simple : nous ne vendrions plus rien aux Chinois. (Air-Bus, TGV, etc.)LA SEULE SOLUTION , donc, consisterait à re-faire de la France un pays autocentré, autocinétique et autoconsommateur. Ce qui implique de relancer l'agriculture sans jachère, remonter des usines à nous en s'interdisant de les revendre à des étrangers, et relancer le commerce par nos propres moyens.J'ai peur, malheureusement, de devoir appeler un chat "un chat" et cette idéologie pourrait être assimilée à un socialisme au premier degré (c'est-à-dire primaire ; c'est-à-dire conduit par un parti sans magouilles ; c'est-à-dire sans ses "éléphants".) Il doit bien rester au parti socialiste UNE personne qui soit socialiste, qui veuille faire du socialisme, et qui soit (mais là je rêve...) honnête et droit !Le procédé est tout-à-fait faisable, mais pas avec notre br...... de président actuel !
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O
Le problème du Tibet représente le type même du faux problème.Pourquoi avoir choisi la Chine pour les jeux ?Pourquoi ce problème apparait-il maintenant ?Les vrais dangers sont ailleurs : démocratie en péril dans le monde occidental voir l'Irak,voir l'holocoste palestinien,la mise en fiche des citoyens, une économie financière déconnectée de la finalité humaine et incontrolable ( voir les jeux à pékin!)Interrogeons sur le rôle et l'action de RSF et de ses sources de financement.En France notamment nous avons des vrais sources d'inquiétude
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M
La mobilisation ne date pas d'aujourd'hui, elle a seulement été mise à la connaissance du public grâce au passage très médiatisé de la flamme à Paris. Nombre de personnes sont sur le "terrain" déjà depuis longtemps, mais ne font pas forcément l'objet de reportages télévisés. On ne peut pas reprocher à ces militants d'avoir profité de ce battage médiatique pour se faire entendre.Il en est d'ailleurs de même pour la lutte des sans-papiers (dernière manifestation le 5 avril dernier à Paris et dans diverses villes de France sans que ce soit relayé dans les médias), des chômeurs, occupant régulièrement des administrations pour se faire entendre, des sans abris, moyennement médiatisée grâce à la présence d'Augustin Legrand et de certaines personnalités du show biz etc...Sur le choix de Pekin, il est évident que se sont les politiques qui auraient du intervenir dès le début pour imposer le respect des droits de l'Homme avant même d'attribuer les JO. On a fait confiance à la Chine donc si les règles ne sont pas respectées, il semble nécessaire que les dirigeants politiques montrent leur désaccord en boycottant la cérémonie d'ouverture.Quant aux athlètes, également citoyens, la décision d'un boycott ou non leur appartient.
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O
Lorsque le CIO dont la France bien représentée ont accordé les JO à la chine, il n'y a eu aucune manifestation, il a été accordé à la Chine un crédit considérable sur l'évolution de ce pays en matière de Droits de L'Homme, grande naïveté de la part du CIO et des pays qui y ont cru, Je pense que l'on a fermé les yeux sur les Droits de l'Homme au nom du libéralisme, sur cet immense marché que représente la chine, ce pays sous équipé et économiquement faible à l'époque représentait une aubaine pour les intérêts de grands groupes capitalistes. n'est-ce pas un peu hypocrite de manifester si fort aujourd'hui ? que faisons|nous des sportifs qui se préparent depuis 4 ans, n'est-ce pas la meilleure façon que ces rencontres aient lieu, tous les peuples sans distinction de race, de couleur de peau, de condition sociale, seulement la liberté de courir, sauter, nager,seulement la noblesse du sport auront sans doute plus d'impact que ces manifestations largement retransmises en occident, mais occultées en Chine. oui aux droits de l'homme partout, en Chine, Tibet, Palestine, Tunisie, Irak, aussi les droits de l'homme chez nous pour les sans papiers, les pauvres, les sans abris etc.......... H.O
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