"NOUS CHINOIS, NOUS SENTONS VENDUS PAR LA FRANCE"

Publié le par Désirs d'Avenir 84

Par Guillemette Faure

Rue89

17/08/2008

 

Ils sont venus des Etats-Unis ou d’ailleurs, les parias de la Chine, afin de rencontrer en France un autre exilé : le dalaï lama. Et au passage, ils égratignent Nicolas Sarkozy, accusé d‘« utiliser la visite du dalaï lama pour pouvoir continuer à négocier avec la Chine ». Wei Jingsheng, un des plus célèbres dissidents chinois qui a passé dix-huit ans en prison en Chine, accuse même le gouvernement français de s’acheter une conduite en allant s’afficher auprès du leader tibétain :

 

« On ne peut pas utiliser la douleur des autres pour faire un maximum de business. Et nous, les Chinois, nous sentons vendus par le gouvernement français. »

 

Wei Jingsheng, figure emblématique de la dissidence chinoise, est venu des Etats-Unis, où il vit aujourd’hui, pour rencontrer le dalaï-lama :

 

« Beaucoup de réfugiés politiques le respectent pour ses contributions aux droits de l’homme, et pas seulement au Tibet. On va le voir pour lui montrer qu’on est tous ensemble. »

 

 

Avec lui, des dissidents chinois venus de France, de Suède, des Pays-Bas, d’Allemagne ou d’Amérique, qui se retrouvaient samedi dans la salle de réunion d’un hôtel de banlieue parisienne pour discuter de l’avenir de la Chine à l’heure des Jeux olympiques de Pékin.

 

Une diaspora divisée

 

Un rare moment d’unité dans une diaspora d’opposants éparpillée, divisée et qui a assisté, ces dernières années, à la montée en puissance de la Chine toujours sous la houlette du parti communiste chinois, réduisant d’autant leur capacité à influencer de l’extérieur le cours des événements dans le pays qui les a vus naître et les a chassés.

 

Wei Jingsheng, « l’homme qui ne baissait jamais la tête », selon ses biographes Marie Holzman et Bernard Debord, est agé de 58 ans et a été expulsé vers les Etats-Unis en 1997, à sa libération de prison. Aujourd’hui, il s’inquiète d’un retour à une forme plus marquée de dictature, une fois les caméras des JO éteintes :

 

« Le gouvernement chinois a beaucoup investi dans ces Jeux, pour prouver à la population que le monde entier soutient la Chine, pour masquer le mécontentement, pour prouver sa puissance. Pendant les Jeux olympiques, il y a eu encore moins de liberté de parole que d’habitude en Chine.

 

« Mais on ne peut pas dire que ça ait marché selon les vœux du gouvernement. Tout le monde a vu les difficultés du passage de la flamme. Commercialement, ça n’était pas non plus le succès escompté, la Bourse chinoise a chuté avant l’ouverture des jeux. Et les Jeux olympiques ont été l’occasion pour les journalistes de venir voir ce qui n’avait pas évolué. »

 

Un exilé dont on distingue le t-shirt Tiananmen sous la chemise, commente :

 

« Il ne faut pas s’en prendre aux Chinois qui ont soutenu les Jeux olympiques, ils soutenaient la Chine, pas le Parti communiste… »

 

« Avant ou pendant les Jeux olympiques, c’était difficile de savoir ce qui se préparait », note un jeune homme :

 

« Le gouvernement masquait tout, l’enthousiasme masquait tout, tous les problèmes semblaient laissés en suspens. On a pourtant l’impression d’un volcan qui est en train de concentrer sa puissance et qui un jour va exploser. »

 

« Est-ce que les Français s’intéressent aux Ouigours ?

 

Les opposants soulignent que les critiques remontent grâce à Internet, qui permet aussi à des opposants au régime d’interroger Wei Jingsheng depuis la Chine. Même si, de fait, cette personnalité qui a incarné la revendication démocratique en Chine dans les années 80, est aujourd’hui occultée dans son propre pays, et est devenue un inconnu pour les plus jeunes générations.

 

Le célèbre dissident est interrogé sur un éventuel recours à la violence. Wei Jingsheng répond qu’il souhaite un dernier effort pour obtenir des réformes mais qu’il respectera le choix du peuple chinois en Chine. Quand il était en prison, raconte t-il, il s’était aperçu que les détenus connaissaient mieux la prison que les gardiens. La Chine c’est pareil, les Chinois la connaissent mieux que le gouvernement.

 

En jean t-shirt, une jeune fille se lève :

 

« Est-ce que les Français s’intéressent aux Ouigours ? Aux yeux des Français, c’est quoi la différence entre nous et les Tibétains ? »

 

 

Pour beaucoup, la présence du dalaï lama est l’occasion de revenir sur un sujet récurrent : l’absence de grande figure de proue de la communauté chinoise en exil. Un jeune homme dans la salle tente une suggestion:

 

« Le Tibet a le dalaï lama, Falun Gong a son représentant… Il existe beaucoup d’associations de réfugiés politiques chinois à l’étranger, mais elles ne sont pas unies, pourquoi n’a t-on pas un leader unique ? Wei pourrait se présenter… »

 

 

Wei Jingsheng lui répond qu’il ne veut pas se battre pour ça. Il ne veut pas que l’on force chacun à se plier dans un groupe. Pas question d’employer les mêmes méthodes que les communistes pour forcer ceux qui ne sont pas d’accord à suivre une seule ligne. On a différentes branches, chacun fait ce qu’il peut, explique t-il.

 

Wei Jingsheng est convaincu que la communauté internationale aurait le pouvoir de pousser la Chine à adopter des réformes. Mais il s’inquiète de voir les présidents Bush et Sarkozy se rapprocher du gouvernement chinois à des fins commerciales. Paradoxalement, note t-il, dans les pays occidentaux où les habitants ont manifesté contre le passage de la flamme, cela n’a pas empêché les gouvernements de ces pays d’aller en Chine :

 

« Ces gouvernements n’ont pas le même regard sur la Chine que les populations qu’ils représentent. Ils ne parlent plus des problèmes chinois quand ils gagnent des contrats. »

 

 

Depuis son dernier voyage en Chine en novembre, « Sarkozy s’est fermé les yeux ».

Publié dans INTERNATIONAL

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